L'intégralité des films de la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion est à découvrir au Capitole du 22 septembre au 31 octobre 2024. Une filmographie riche et variée, complétée par un documentaire sur son oeuvre, signé par Julie Bertuccelli et projeté en sa présence. En outre, pour la première fois à la Cinémathèque suisse, la projection d'une série, Top of the Lake, sur l'écran géant du Capitole.
Jane & her women: les mille regards de Campion
La méthodique Louise et la désinhibée Kelly. L'obèse Sweetie et l'obses- sionnelle Kay. Et puis, il y a Janet la folle, Ada la muette, Janet la malheureuse, et Ruth, Frannie, Fanny, Robin et Rose. Autant de portraits dressés par Jane Campion de femmes, amies, sœurs, amantes ou épouses, héroïnes romantiques à la sensibilité moderne, transgressive ou rejetant un destin tragique. Des rebelles, anticonformistes et résilientes, qui se heurtent aux idéaux féminins dominants et sont à la recherche d’une identité propre, en opposition aux règles et stéréotypes imposés par une société patriarcale répressive.
Le cinéma de Campion est un monde principalement de femmes, où les hommes sont des oppresseurs violents ou, dans un inversement des rôles, des hommes passifs, objets du désir et du regard féminins. Toutes et tous sont des personnages troublés, tiraillés entre obsessions et raison, besoin d'affirmation de soi et de compréhension de l’autre, désir d'indépendance ou de soumission. Des «marginaux» qui évoluent dans un récit traversé par une imagerie symbolique puissante, où la nature, l'environnement et les paysages amplifient leurs tourments intérieurs.
La réalité de Campion raconte des contrastes profonds et viscéraux: ceux des relations familiales dysfonctionnelles et des rapports entre les hommes et les femmes, où les vérités sont souvent cachées et les pulsions refoulées. L’amour, dans le sens romantique du terme, est insufflé d'une tension érotique qui se veut instinct vital et moteur d’agissement. La sexualité et le désir – inavoués, rejetés ou vécus – sont un moyen d'apprentissage et d'expérimentation, indispensables à la quête d’émancipation et de liberté. Sensuel et tactile, ce cinéma est profondément relié aux influences formelles, littéraires, figuratives et musicales qui ont marqué le parcours artistique de la cinéaste.
Jane Campion naît à Wellington en Nouvelle-Zélande en 1954. Son père est metteur en scène de théâtre, sa mère actrice et écrivaine. Diplômée en anthropologie en 1975, elle obtient un second diplôme en Beaux-Arts au Sydney College of Arts en 1979, après un voyage «initiatique» sur le Vieux Continent (en Italie et à Londres). Au début des années 1980, insatisfaite par les «limites» de la peinture et très influencée par ses études de photographie, elle décide de s’orienter vers le cinéma et est admise à la célèbre Australian Film Television and Radio School (AFTRS). En 1982, son court métrage d’école, Peel, obtient la Palme d'or du meilleur court métrage au Festival de Cannes. Après Two Friends (1986) et Sweetie (1989), An Angel at My Table (1990) reçoit de nombreux prix dans le monde entier, dont le Lion d'argent à la Mostra de Venise. C'est le début de sa renommée internationale qui atteint son apogée en 1993 avec The Piano qui remporte la Palme d'or à Cannes. Première femme cinéaste à avoir reçu cette récompense, Jane Campion a dû se battre pour imposer sa vision contre le «male gaze» dominant. Pionnière du cinéma moderne, artiste engagée et iconoclaste, elle a ainsi ouvert la voie à de nombreuses et nombreux autres cinéastes.
Chicca Bergonzi
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Jane Campion sur le tournage de “The Power of the Dog”