La Cinémathèque suisse rend hommage ce mardi 29 novembre au cinéaste Jean-Luc Godard lors d'une journée spéciale de programmation. Le jeudi 21 décembre c'est une soirée en mémoire d'Alain Tanner, avec la projection de Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000 en présence de Jean-Luc Bideau, qui sera organisée en nos murs. Dans l'éditorial de notre dernier bulletin, Frédéric Maire revient sur le parcours parallèle de ces deux figures majeures du cinéma suisse.
Ils avaient beau avoir presque le même âge et vivre tous les deux sur les rives du lac Léman, les deux cinéastes qui nous ont quittés à deux jours d’intervalle, en mi-septembre, n’étaient pas des proches. Mais ils dessinent une sorte d’étrange parallèle entre deux histoires du cinéma, et plus particulièrement du cinéma suisse. A son retour de Londres avec Claude Goretta et leur fameux court métrage commun Nice Time (1957), Alain Tanner travaille pour la Télévision suisse romande, et signe quelques films de commande et des documentaires. Tout au long des années 1960, il se bat avec d’autres (dont Alexander J. Seiler à Zurich et Freddy Buache à Lausanne) pour que la Confédération entende le besoin des cinéastes d’être soutenus par des subventions publiques. La première loi fédérale sur le cinéma, votée en 1962 et entrée en vigueur en 1963, ne soutiendra d’abord que les films à vocation documentaire, culturelle et pédagogique, mais c’est un début.
Très vite, grâce au succès critique et public de ses films, Tanner va peu à peu sortir de Suisse, coproduire ses projets en France, restant longtemps fidèle à son territoire, avant de partir au Portugal, en Irlande, en Italie ou en Espagne. Les 20 longs métrages de fiction qu’il signe de 1969 à 2004 vont permettre à de très nombreux comédiens et techniciens d’ici de se rencontrer, de travailler et de faire carrière. Comme le chef opérateur tessinois Renato Berta, auquel la Cinémathèque suisse a récemment rendu hommage, qui signe les images de sa première fiction, Charles mort ou vif, en 1969. Ou l’ingénieur du son Luc Yersin, que l’on aperçoit dans ce film tenant la perche. Ou l’acteur Jean-Luc Bideau qui y fait sa première apparition en ambulancier (aux côtés de Francis Reusser), avant de tourner avec lui La Salamandre (1971) et Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976).
Quand Jean-Luc Godard quitte Paris pour rejoindre Rolle, en 1977, avec Anne-Marie Miéville, après un important passage par Grenoble, le Nouveau cinéma suisse a pris son envol et la Confédération soutient (enfin !) la fiction. Godard signe alors son « nouveau départ », le magnifique Sauve qui peut (la vie) (1980). Il le tourne en Suisse, avec des comédiens et des équipes où les Suisses sont nombreux, comme le même Renato Berta derrière la caméra, l’ingénieur du son Luc Yersin, le producteur Robert Boner et des acteurs comme Roland Amstutz, Roger Jendly, Michel Cassagne et bien d’autres.
Sur le fameux court métrage tourné deux ans plus tard sur la ville de Lausanne, Lettre à Freddy Buache, oeuvrent autant l’ingénieur du son de presque tous ses films suivants, François Musy, que le chef opérateur Jean-Bernard Menoud, et on aperçoit même à l’écran, parlementant avec un policier vaudois sur le bord de l’autoroute, le jeune Gérard Ruey, alors assistant, qui travaillera également sur Passion (1982) et produira par la suite une dizaine de films… d’Alain Tanner. Et si Godard, toujours plus artisanal, aura de moins en moins recours aux équipes de tournage, il restera toujours fidèle à quelques Suisses, comme la productrice Ruth Waldburger ou son proche collaborateur et producteur Fabrice Aragno.
Voilà pourquoi nous pouvons, et devons, aujourd’hui, pleurer ces deux artistes qui, au-delà de leur art et de leur génie, ont joué un rôle majeur pour l’existence du cinéma suisse – et du cinéma tout court.
Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse
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Jean-Luc Godard sur le tournage de son film "Une femme est une femme" (1961)