Dans notre dernier bulletin, Frédéric Maire signe un éditorial consacré à trois « aventuriers » du cinéma, programmés en ce début d’année dans nos salles : Jacques Rozier, John Cassavetes et Apichatpong Weerasethakul.
La programmation de ce début d’année 2022 met en lumière le travail de trois réalisateurs qui sont de véritables aventuriers du cinéma. En effet, tous les trois, dans leur pratique du septième art, ont expérimenté des formes de mise en scène et de création novatrices, radicales, encore aujourd’hui extrêmement modernes.
Le premier par ordre chronologique est Jacques Rozier, né en 1926. Génial cinéaste de la Nouvelle Vague française, auteur remarqué d’Adieu Philippine (1961) et Maine Océan (1986), Rozier est l’incarnation d’un cinéma libéré des contraintes, où la caméra fait corps avec les accidents du réel et du tournage. «Polir, repolir... Dès que j'entends quelqu'un me dire qu'il peaufine son scénario depuis deux ans, j'ai envie de lui dire de le garder pour lui. Le cinéma est une question de risque et de désir. Comme l'amour» disait Jacques Rozier dans un entretien accordé à Télérama en février 2019.
Le cinéma de Rozier fait écho à celui de John Cassavetes, autre immense réalisateur, né quant à lui en 1929 aux Etats-Unis. D’abord acteur dans d’innombrables séries de télévision et quelques films, Cassavetes s’affirme très vite comme un cinéaste hors pair avec l’extraordinaire Shadows (1959), privilégiant des formes et des sujets qui préfigurent le Nouvel Hollywood, avec une famille de comédiens extraordinaires comme Peter Falk, Seymour Cassel, Ben Gazzara ou son épouse Gena Rowlands. Mais, pour financer ses propres films, il doit multiplier les rôles dans les séries et les films des autres, comme The Dirty Dozen (Les Douze Salopards) de Robert Aldrich (1967) ou Rosemary’s Baby de Roman Polanski (1968).
«Tout film doit tirer son inspiration de l’instant», disait Cassavetes. Et, en effet, dans ses films, même lorsqu'ils sont très écrits, l’imprévu doit toujours avoir sa place. Sur le tournage, il effectue d’innombrables répétitions avec ses acteurs, modifiant leur texte au fur et à mesure, en fonction de leurs réactions et suggestions – «ces répétitions créatrices visaient à créer l’impression que les choses arrivaient pour la première fois», ainsi que le précisait l’acteur Ben Gazzara.
Né en 1970, le réalisateur thaï Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or en 2010 pour Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, incarne en apparence un cinéma plus contrôlé. Mais son œuvre participe tout autant d’une aventure où l’inattendu surgit souvent dans les images et les sons, et où la nature interagit avec les êtres humains d’une manière presque organique, univers magique où tout est toujours possible. En cela, il est en quelque sorte le descendant moderne des Rozier et Cassavetes, transformant leur liberté de récit dans une liberté de forme extraordinaire qui s’exprime magnifiquement dans Memoria, présenté chez nous le mardi 25 janvier en avant-première. Le film s’offre comme une expérience dans le temps et l’espace où l’actrice Tilda Swinton plonge avec le spectateur dans un brouillard de fantômes – ceux de la mémoire, comme ceux de l’histoire.
Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse
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